Bouxwiller : Sur le terrain
La colline du Bastberg près de Bouxwiller en Alsace du Nord fait partie du champ de fractures de Saverne. Elle est constituée de 2 éléments dont le Bastberg ou mont Saint-Sébastien (326 m, approximativement là où se trouve le kiosque et la croix) et le Galgenberg ou mont de la Potence (321 m). L'appellation impropre mais courante de ces deux collines est respectivement Petit Bastberg et Grand Bastberg.
Situation géographique du Bastberg (source Géoportail.gouv.fr)
Les séries géologiques étudiées dès le milieu du 19ième siècle grâce notamment à l’exploitation minière de lignite montre une structure en synforme interprétée comme un synclinal. Trois hypothèses de genèse sont proposées pour expliquer la structure en synclinal au sein d’un système de rift.
d’après Alexandra Guy, Projet de recherche : Nature et genèse du synclinalde Bouxwiller, 2006/200 |
Toutefois c’est ce synclinal qui a permis la conservation de terrains plus jeunes qui peuvent être étudiés comme le montre le document ci-dessous.
Carte géologique du Bastberg (Géoportail.gouv.fr) et coupe schématique du synclinal
Les différents arrêts possibles au Bastberg (source Géoportail.gouv.fr)
(Les chiffres correspondent aux coordonnées GPS et le tracé en pointillés au sentier géologique)
https://maps.app.goo.gl/WNaFMiLCmMs55dK48
ATTENTION : en suivant le sentier géologique, vous ne serez pas dans un ordre chronologique. Vous débutez par un terrain ancien (calcaire oolithique) puis le plus jeune (conglomérat) pour revenir à un intermédiaire (calcaire lacustre).
Panneau 1 présent au départ du sentier géologique qui permet de résumer les différentes roches étudiées (à voir en dernier ?)
Affleurement de calcaire oolithique.
Pour observer le front de taille de l’ancienne carrière, il faut prendre à gauche le chemin dans la végétation, avant le chorten en grès des Vosges appelé « La porte ».
On longe alors un front de taille dans lequel on observe des strates (on est donc bien en présence d’une roche sédimentaire) avec un léger pendage et des diaclases (plan de fracture préférentiel).
Le litage oblique est visible par un observateur attentif avec un pendage global vers l’Est indiquant que le paléocourant était dirigé d’Ouest en Est.
Actuellement, la formation de litages obliques peut être observée dans les fleuves, et tout le long du littoral normand et breton, où des mégarides et des barres de sables montrent ce type de litage.
Pour déterminer le paléosens du courant, Bouxwiller n’est pas le meilleur site, les plus beaux exemples sont le calcaire oolitique de Lorraine et de Franche Comté.
Agrandissement afin d’observer les oolithes du calcaire
La roche présente une teinte blanchâtre à ocre clair, elle est dure et légèrement poreuse.
Au laboratoire, photographie à la loupe binoculaire et test à l’acide chlorhydrique
Un test à l’acide montre une effervescence, il s’agit donc bien d’un calcaire. Ce calcaire est constitué par de nombreux petits grains agglomérés : les oolites présentant en leur centre un nucléus (par exemple un débris de coquille) autour duquel on observe des structures concentriques de 1 à 2 mm de diamètre formées de calcaire. Il s’agit donc d’un calcaire oolitique.
Il est daté du Secondaire Jurassique DOGGER Bajocien de -176 à -167 Ma (j1c).
Par principe d’actualisme, les oolites calcaires actuelles se forment en milieu aquatique, parfois lagunaire donc à profondeur faible et à des températures élevées donc dans des eaux chaudes et limpides (ex. en mer Rouge ou au voisinage de l’île de Djerba en Tunisie). Des sables oolitiques semblables se forment actuellement, en milieu intertropical, sur les fonds peu profonds des mers chaudes des Bahamas et du Golfe Persique, dans des zones de forts courants
Dans ces conditions, les débris servant de nucléus peuvent soit rouler sur le fond (traction), soit être maintenu en suspension dans l'eau. En raison de l'agitation et de la température élevée de l'eau, le carbonate de calcium devient insoluble et précipite autour de ces nucléus (précipitation chimique, même si l'existence de biofilms bactérien pourrait favoriser cette précipitation). L'oolithe grossit alors peu à peu jusqu'à se stabilise sur le fond. Leur dépôt se fait par couches successives et forme des couches horizontales (strates). Si le courant transporte ces grains de sable, il se forme alors des mégarides ou des barres de sable sous l'eau. La progradation de ces mégarides (déplacement vers l'aval sous l'effet d'un courant) crée des litages obliques visibles sur le site. L'accumulation d'oolithes forme un sable oolithique. Par la suite, lors de la diagénèse, de l'eau chargée en ions circule et permet la formation de cristaux de calcite qui vient cimenter les oolithes entre elles.
Jean-Claude Gall écrit dans « Alsace, des fossiles et des Hommes »: Vers le milieu de la période jurassique, il y a environ 170 Ma, la profondeur de la mer se réduit [...]. L’Alsace est alors occupée par une vaste plateforme marine dont la tranche d’eau n’excédait guère une dizaine de mètres. Son fond est modelé en permanence par l’action des vagues et des courants. L’agitation [...] maintient en suspension des petits grains de sables ou des fragments de coquilles. ils seront progressivement enrobés par des pellicules concentriques de carbonates de calcium jusqu’à acquérir la forme de sphères d’environ un millimètre de diamètre : ce sont les oolites, ainsi appelées en raison de leur ressemblance avec des oeufs de poissons…
Panneau 2 expliquant la formation des oolithes et du litage oblique
Les traces fossiles d’activités animales dans le calcaire oolithique.
Le calcaire est relativement pauvre en fossiles. On y retrouve des restes de différents animaux comme Echinobrissus renggeri, Clypeus ploti, Megateuthis giganteus, Pseudomonotis echinata, Macrodon kirsonensis, Ostrea acuminata et l'Ammonite de zone, Parkinsonia parkinsoni (fossile stratigraphique).
Néanmoins des animaux ont laissé la trace de leurs activités sous la forme de nombreux terriers qui ont été fossilisés.
On retrouve également le litage oblique de l’arrêt précédent.
Vue d’ensemble et précisions sur le calcaire oolithique avec terriers et débris
Panneau 8 sur les traces fossiles d’activités animales
Cette couche de calcaire du Bajocien (J1c) épaisse d’une quarantaine de mètres, appelée la Grande oolithe, est une des principales formations calcaires en Alsace. Elle est formée de bancs épais généralement de quelques décimètres (0,10 à 1m).
Elle forme en partie l'ossature des collines du Bastberg dont elle constitue le point culminants du Petit Bastberg où elle affleure. L’eau s’y infiltre aisément à chaque pluie, ce qui explique les pelouses sèches typiques qu’on peut y observer au sommet et qui en fait une végétation protégée.
Panneau 9 au sommet du Bastberg
Le conglomérat à galets de calcaire du Galgenberg.
Au sommet du Galgenberg, dans le petit bois, affleure, sur de petites surfaces, la série sédimentaire la plus récente. Il s’agit d’un conglomérat à galets calcaires oolithique du Bajocien remaniés. Au droit du Grand Bastberg, l'épaisseur du conglomérat est de l'ordre de 35 mètres.
A un endroit dégagé, en bordure du bois, vous retrouverez un petit affleurement de 2 mètres de haut qui en permet une observation facilitée.
L’affleurement conglomératique du Galgenberg
En s’approchant, on observe que les galets ont la forme d'ellipsoïdes aplatis de longueur comprise, pour la plupart, entre 10 et 25 cm, 40 cm pour les plus grands. Le ciment est formé de calcaire dur, de calcaire farineux ou encore de marne.
Un test à l’acide chlorhydrique nous démontre à nouveau qu’il s’agit bien de calcaire.
Les galets du conglomérat et test à l’acide chlorhydrique au laboratoire
On attribue classiquement un âge Oligocène de 30 Ma à ce conglomérat mais l’association des fossiles ne permet pas de dater précisément la formation qui serait davantage de l’Eocène supérieur-Oligocène inférieur. D’ailleurs, un peu plus loin sur le parcours, se trouve le panneau 10 qui lui donne un âge de 35 Ma.
Panneau 10 au Galgenberg
Quoi qu’il en soit, ces indices permettent de décrire le mode et le milieu de formation : un dépôt torrentiel, accumulé au pied de l'escarpement bordier du fossé rhénan, dans une lagune.
Bloc diagramme de dépôts côtiers (d'après Duringer)
Ce conglomérat se forme dans le cadre plus globale des premières phases de l’orogenèse Alpine au milieu du Cénozoïque (vers 50 Ma) et plus précisément en lien avec l’effondrement du fossé rhénan amenant à la formation de reliefs assez élevés dont la dénivellation permet la mise en place d’un régime fluviatile érodant la couverture mésozoïque. Cette érosion, qui perdurera à l’Oligocène, entraine une sédimentation de conglomérats deltaïques essentiellement calcaire dans les champs de fractures dont ceux de Bouxwiller.
Le calcaire lacustre
Epais d’une trentaine de mètres, le Calcaire de Bouxwiller affleuraient dans les anciennes carrières situées au Sud-Ouest de l'église catholique. Malheureusement présent sur des terrains privés (un entrepreneur en a fait son lieu de stockage de déchets de chantier) et de par la végétation, elles ne sont plus accessibles.
Sentier sur lequel on foule le calcaire lacustre
Il faut alors se contenter de ce qu’il reste sur le sentier qui est la fin du parcours géologique mais on peut trouver facilement des restes fossiles dans les morceaux de calcaire au sol.
Ce calcaire se forme dès les premiers moments de l’orogenèse Alpine au Cénozoïque, vers 50 Ma, à l’Eocène moyen. La subsidence du futur fossé rhénan favorise la formation de lacs comme celui de Bouxwiller.
Nous sommes donc en présence d’un calcaire lacustre qui a fourni une riche faune fossile de gastéropodes, ostracodes, dents de poissons et de mammifères terrestres (qui, avec celle de Montmartre, permit à l'illustre savant Georges Cuvier de jeter les fondements de la paléontologie stratigraphique) et qui est daté du Lutétien, il y a environ 45 Ma.
De jolies photographies de fossiles sont visible sur le site de l’Association Strasbourgeoise des Amis de la Minéralogie à l’adresse https://asam67.org/fossiles/.
D’après Gall, « Alsace, des fossiles et des hommes » : Le lac de Bouxwiller servait de point d’eau à de nombreux mammifères terrestres :
- des marsupiaux de la famille des sarigues, petit animal de 26 cm de long,
- des insectivores, des rongeurs dont l’aspect évoque les marmottes, des petits singes,
- des carnivores rappelant les civettes,
- des cochons aux mœurs amphibies et des ongulés dont la silhouette est proche de celle des chevaux.
Le mammifère le plus répandu appartient au genre Lophiodon, un animal apparenté aux tapirs actuels, qui se déplaçait en troupeaux au voisinage du lac. Les berges étaient également fréquentées par des crocodiles et des tortues.
La flore lacustre est représentée par des characées (algues vertes qui peuplent encore aujourd’hui les eaux douces) et par des fougères aquatiques.
La végétation qui croissait sur les berges a été reconstituée grâce aux spores et aux grains de pollens préservés dans les roches. Elle comprenait entre autres des fougères, des palmiers, des lauriers, des magnolias, des cyprès…
L’épaisseur de la tranche d’eau lacustre fluctuait. En témoigne un banc de lignite, roche carbonée formée de l’accumulation de matières végétales. Interstratifié entre les argiles, épais de 2 mètres, il provient d’un reste des restes d’une végétation palustre dense qui s’est formée lorsque le lac s’est transformé en marécage. En raison de ses teneurs élevées en pyrite, la lignite fut jadis exploitées en galeries souterraines par les Mines de Bouxwiller pour la fabrication de sulfates, de vitriol et d’alun.
Les associations fossiles du lac de Bouxwiller illustrent remarquablement les paysages et les peuplements des terres émergées à l’orée de l’ère tertiaire. Relayant les reptiles de l’ère secondaire, décimés par la crise biologique de la fin du Crétacé, la grande faune est désormais dominée par les mammifères. Carnivores et crocodiles vivent aux dépens d’une foule d’animaux qui venaient s’abreuver près des rives du lac.
La faune aquatique comprenait essentiellement des gastéropodes d’eau douce. Le climat était tropical, la végétation arborescente, proche de celle de l’Indo-Malaisie actuelle abritait les premiers singes. Lorsque la mort les surprenait, leurs cadavres dérivaient à la surface du lac avant de sombrer et d’être ensevelis dans la boue calcaire ou la vase qui tapissait le fond.
Panneau 13 présent sur le sentier de calcaire lacustre à la fin du parcours géologique
Contexte tectonique et reconstitution de l’histoire géologique
Pour résumer l’histoire géologique du Bastberg, on pourra se reporter à l’article Histoire simplifiée dans la section Géologie régionale et plus particulièrement aux paragraphes et blocs diagrammes sur le Jurassique puis le début du Cénozoïque ou, plus simplement, au premier panneau du sentier géologique au début de l’article.
Panneau présent au départ du sentier géologique qui permet de résumer les différentes roches étudiées