Nideck : sur le terrain
Le Nideck, situé entre trois villages (Oberhaslach, Niederhaslach et Wangenbourg) est connu pour sa cascade, ses châteaux mais aussi, ses légendes.
Le site comprend une succession de roches volcano-sédimentaires (Permien) encadrée par des schistes plus anciens (Carbonifère) et le grès plus récent (Trias).
Vue générale depuis le sud-est de différents éléments visibles durant la visite
(depuis le point de vue 1)
Carte des lieux, du trajet et des différents arrêts possibles au Nideck.
(Source : plan IGN géoportail)
Arrêt 1 : Schiste du socle Carbonifère (altitude 350 mètres)
Un peu plus bas que le parking de l’auberge (300m), de l’autre côté de la route au début du chemin forestier, vous trouverez un bel affleurement.
Situation de l’affleurement de Schiste du Viséen
En regardant l’affleurement, on observe aisément une stratification subhorizontale correspondant à d’anciens sédiments fins qui se sont déposés au fond d’une mer au Viséen (-330 Ma environ) puis qui ont été faiblement métamorphisés d’où la légère schistosité oblique présente par rapport à la stratification.
L’aspect de ce schiste peut servir de comparaison pour la suite.
Stratification subhorizontale, plans de schistosité sub-verticaux et échantillon de schiste
Vue détaillée de la stratification subhorizontale montrant des niveaux grossiers granoclassés à base érosive (probablement des turbidites) et plans de schistosité sub-verticaux recoupant les plans de stratification.
Arrêt 2 : Le long du chemin, à droite, observation des blocs et affleurements
En remontant à droite le chemin au départ du parking, débute le sentier menant à la cascade et au château du Nideck. Arrivé en surplomb de la route, se trouve un panneau récapitulatif.
Au bout de 10 minutes de marche, on peut observer un premier endroit où la roche du sous-sol est visible, laissant apparaitre une roche assez claire avec des inclusions de la formation inférieure.
Sous-sol visible laissant apparaitre une roche claire
La matrice grise est constituée de cendres volcaniques indurées, d’éclats de cristaux de feldspath altérés et de quartz: c'est un dépôt pyroclastique.
On y distingue également des clastes rhyolitiques permettant de dire qu’il s’agit de brèches polygéniques d’explosion qui forment la base de la série volcanique. Les échantillons contenant en majorité des éléments fins (<2mm) peuvent être qualifiés de cinérite (cendre volcanique indurée).
Echantillon de brèche la formation inférieure
Après 3 à 4 minutes de marche supplémentaire, on observe une autre roche présente en quantité par des débris à flanc du sentier ou par des blocs émergeant du sol.
Cette nouvelle roche présente des phénocristaux de feldspath inclus dans une pâte de couleur rouge violacée, permettant de penser à une roche magmatique volcanique avec une texture microlithique (dite porphyrique).
On peut également observer sur certains échantillons des sortes de « lits » horizontaux, des laminations interprétées comme des dépôts successifs. Certains échantillons contiennent des inclusions aplaties en forme d'amande correspondant à d'anciennes ponces aplaties et soudées à chaud lors de la mise en place de la nuée ardente. Ces inclusions, plus facilement altérables, apparaissent parfois en creux dans les échantillons.
Texture porphyrique et laminations de l’ignimbrite rhyolitique
Vue détaillée de l'ignimbrite rhyolithique. Gauche : ignimbrite en cassure fraiche laissant apparaitre les ponces aplaties dans la matrice rouge. Droite : ignimbrite altérée montrant des cavités formées par la disparition d'anciennes ponces plus facilement altérables que la matrice.
Nous sommes ici en présence d’ignimbrite rhyolitique :
- ignimbrite (littéralement « pluie de feu ») car cette roche formée de débris de lave acide issus d'une nuée ardente et soudés avant leur refroidissement, mélangés à une matrice vitreuse,
- rhyolite car la lave à l’origine de la roche est acide, c’est-à-dire concentrée en silice, avec environ 70% de SiO2.
On pourra aussi remarquer, sur la colline en face, le débit en colonne prismatique lié à l’apparition de joints de rétraction lors du refroidissement, faisant apparaitre des diaclases (fissure de la roche sans déplacement des deux blocs). On pourra relever en particulier la colonne isolée appelée couramment « rocher du Troll ».
L'existence de cette prismation peut surprendre étant donné qu'il ne s'agit pas d'une coulée de lave. En fait, elle existe car il s'agit d'un dépôt pyroclastique soudé à chaud qui subit donc également une rétraction thermique.
Rocher du Troll et colonnes prismatiques
Prismation de l'ignimbrite rhyolithique
Arrêt n° 3 : La cascade, ignimbrite de la "coulée" principale de couleur rouge violacée (altitude 430 mètres)
En arrivant à la cascade, on peut faire plusieurs observations :
- la cascade entaille la coulée principale,
- la couleur rouge violacée de l’ensemble,
- un échantillon ramassé dans la rivière ou sur le chemin présente des phénocristaux de feldspath très altérés dans une pâte fine de couleur violacée formant des sortes de « lits » horizontaux.
En s’approchant de la cascade du Nideck
Comme à l’arrêt précédent, nous sommes en présence d’une roche qui s’est mise en place par des dépôts successifs, lors de dépôts pyroclastiques. C’est toujours de l’ignimbrite rhyolitique.
On peut alors faire remarquer que nous sommes en présence d’une structure volcanique qui a mis en place une couche d’une épaisseur d’environ 100 mètres (et cela sur 35km² !).
Des études complémentaires montrent que la roche se serait « soudée à chaud ». De plus, les minéraux ferriques ont conservé l’orientation lors du refroidissement contemporain du dépôt, lorsque la température devient inférieure à 585°C (température de Curie de la magnétite).
Arrêt n°4 : Au-dessus de la cascade, ignimbrite de la "coulée" supérieure (altitude 510 mètres)
Lors de la montée raide mais courte de 5 à 10 minutes par la droite de la cascade (via des escaliers et rampes bien aménagés), on passe à côté de colonnes prismatiques pour arriver au-dessus de la cascade.
Les échantillons de cette formation présentent une teinte rosée plus claire. On y observe à nouveau une texture porphyrique avec des phénocristaux de feldspath altérés, de quartz corrodés mais aussi des morceaux anguleux de roches (parfois violets) repris dans la pâte.
Nous sommes toujours en présence d’une ignimbrite rhyolitique mais de couleur plus claire, une autre « coulée » d’une épaisseur d’environ 40 mètres.
Chemin au-dessus de la cascade du Nideck et échantillon de la coulée supérieure comparé à l’échantillon précédent de la coulée principale
Arrêt n°5 : Le grès de Champenay à la maison forestière (altitude 600 mètres)
En poursuivant le chemin, vous passerez devant les ruines du château pour enfin arriver au parking de la maison forestière.
On pourra ici observer une nouvelle roche, d’origine sédimentaire déposée lors du Permien. Sur les blocs, on pourra relever la petite taille des grains, sa solidité et une stratification oblique à grande échelle.
Maison forestière du Nideck et son parking et détail d'un bloc de grès
Il s’agit d’un grès dit de Champenay représentant un faciès particulier dont les différents critères étudiés permettent d’affirmer que l’agent de dépôt final a été très certainement le vent et que ce grès de Champenay représente des dunes fossiles.
Arrêt n°6 : Sur la D218, contact entre rhyolite et grès
Plus bas que la maison forestière, sur la D218, se trouvent le point de vue 2 ainsi qu’un affleurement caché derrière une petite construction. On peut aisément s’y arrêter comme le montre la présence de la moto.
Situation de l’affleurement de l’arrêt 6
C’est ici qu’on pourra voir un faciès de coulée rhyolitique en contact avec le grès permien éolien de Champenay :
- les coulées de rhyolite sont finement laminées,
- les grès sommitaux présentent à nouveau des grains arrondis et un bon classement, caractéristiques d'un dépôt éolien. De plus, ils se débitent facilement en plaquettes.
Affleurement montrant le contact entre Rhyolite et Grès de Champenay
Comparaison de 2 échantillons de l’affleurement
Arrêt n°7 :La formation moyenne
Pour arriver à ce dernier affleurement, soit vous avez pris :
- le chemin à triangle rouge en plein milieu de la montée de la cascade,
- dès le début du parcours au parking en remontant sur votre droite au panneau récapitulatif (certainement le plus simple, il faut compter moins de 10 minutes).
Affleurement et échantillon d’un conglomérat gréseux
On peut observer ici des conglomérats à éléments de rhyolite plus ou moins anguleux, à ciment gréseux ou tufacé et des grès grossiers, de teinte rouge un peu violacée.
Cette formation est d’une épaisseur d’environ 30 mètres dans le vallon du Nideck.
Interprétation de la série volcano-sédimentaire du Nideck
La série du Nideck d’âge permien, épaisse de 200 m, comprend une succession de roches volcano-sédimentaires liées à des dépôts pyroclastiques acides soudés à chaud (> 700°C) formés lors d’éruptions de type « nuée ardente ».
Les rhyolites sommitales sont issues de coulées correspondant à plusieurs phases d'activité volcanique.
On n'en connaît cependant pas le lieu d'alimentation ni l'étendue exacte, car elles s'ennoient au Nord sous les Grès permo-triasiques et il n’y a pas de traces de l’appareil volcanique.
Coupe schématique des formations permiennes du bassin du Nideck
(d’après Saké MIHARA, visible dans la notice 0271N de la carte géologique)
Du plus ancien vers le plus récent, de bas en haut :
- Schiste du Dinantien (Viséen, -330 Ma) : schiste du socle (arrêt 1)
- Formation inférieure : tufs, brèches ; premier épisode volcanique (arrêt 7)
- Formation moyenne : grès et conglomérats du Permien inférieur (Saxonien) ; arrêt de l’activité volcanique (ne correspond à aucun arrêt)
- Formation principale : ignimbrite rouge - violacée du Permien supérieur (Thuringien) ; second épisode volcanique (arrêts 2 et 3)
- Formation supérieure : ignimbrite grise - violacée du Permien supérieur (Thuringien) (arrêt 4)
- Grès du Permo-Trias (grès feldspathique à débris de rhyolite, grès arkosique argileux et grès vosgien supérieur). (arrêts 5 et 6)
La mise en place de ces roches volcano-sédimentaires s’expliquent dans le cadre d’une distension post-orogénique varisque/hercynienne.
L’orogenèse hercynienne, débutée il y a environ 420 Ma au Dévonien, s’achève au Permien entre 300 et 250 Ma par l’érosion intense des chaînes de montagnes formées dont ne restent à l’affleurement que les matériaux provenant de leur démantèlement et les racines profondes sous forme de roches métamorphiques avec des intrusions de granites tardifs. Ils apparaissent sous la forme d’une succession de massifs isolés (Massif ardennais et de Bohême, Vosges-Forêt-Noire, Massif armoricain, Massif de Cornouailles, Massif central, Massif ibérique) car ils sont partout ailleurs recouverts de roches sédimentaires déposées postérieurement (bassin de Paris).
On peut dater l'épisode volcanique par le fait que les roches volcaniques étudiées soient intercalées entre le socle du Viséen et les grès du Permo-Trias. Par datation relative et en utilisant le principe de superposition, les « coulées » datent probablement du Permien.
La datation absolue des roches de cette unité du Nideck et que l'on retrouve aussi au Donon par méthode Rb/Sr donne un age de 299+/-7 Ma (Hess et Lippolt, 1986 cité dans la thèse de Anne Sophie Tabaud, 2012).
Permien et Trias inférieur (300 – 245 Ma), voir « histoire simplifiée »
Au Permien, il y a une bi-modalité du volcanisme (c'est à dire qu'il existe à la fois des magmas acides et basiques émis durant la même période de temps), avec dominance de laves acides et présence à moindre titre de laves basiques, qui s’inscrit dans un contexte d'extension tardi-collisionnelle.
Lors de l’arrêt de la subduction continentale en fin d’orogenèse hercynienne, la croûte continentale, épaissie par les chevauchements, soumise sous l'effet des forces de volume (poids du relief et poussée d'Archimède sur la racine crustale) subit une extension généralisée, se fracture et s'amincie. La décompression de la croûte inférieure, chaude a provoqué sa fusion partielle : c’est une anatexie crustale.
Ce phénomène fut amplifié par un apport de magma basique résultant de la fusion partielle de l’asthénosphère induite par décompression lors de sa remontée provoquée par le détachement du panneau lithosphérique plongeant (lithospheric breakdown ou délamination lithosphérique). Seule une fraction du magma basaltique généré, remontée à travers la croûte, est parvenue à la surface. La plus grande partie, restée en plaquage sous la croûte sus-jacente, a entraîné son anatexie par échange thermique.
Une telle fusion partielle crustale produit un volume important de magma acide : propulsé en surface il fournît les ignimbrites rhyolitiques du Nideck tandis que sa cristallisation en profondeur fut à l’origine de granite comme le leucogranite de Kagenfels.
Schéma de l’évolution finale de la chaine varisque, adapté d’après Christian Nicollet 1999 et Pierre Thomas 2019 (Source : site de la lithothèque d’Aix-Marseille)
(1) Au Carbonifère terminal, arrêt de la subduction continentale et du raccourcissement
(2) Au Permien, extension tardi-collisionnelle et délamination lithosphérique (lithospheric breakdown) : amincissement crustal (avec failles normales et grabens) ; détachement du panneau lithosphérique plongeant sous la chaîne ; remontée de matériel asthénosphérique et fusion partielle par décompression avec production de magma basaltique alcalin ; anatexie de la croûte continentale par échange thermique avec le diapir asthénosphérique ; production de grandes masses de magma rhyolitique. NB : la couleur orange de l'asthénosphère ne doit pas faire oublier que cette enveloppe n'est pas constituée de magma mais est bien à l'état solide !