Rossberg : Sur le terrain
Géologies des sites.
3 sites peuvent être délimités sur le terrain, il s’agit du rocher du Corbeau, du Rossberggesick ainsi que de la falaise des Fuchsfelsen, intéressante pour elle-même mais aussi pour le point de vue d’ensemble qu’elle offre. Les photographies ci dessous correspondent respectivement au 3 différents sites. L'accès aux sites proposés ci-dessous peut se faire sous la forme d'une randonnée à travers ce complexe volcanique ancien.
Le rocher du Corbeau
Le rocher du Corbeau est constitué d’un porphyre vert antique d’une remarquable fraicheur.
En effet, cette roche caractéristique présente une texture microlitique porphyrique : des macrocristaux de plagioclases (labrador) blanc-verdâtres, sont englobés dans un fond noir à vert foncé (d'où le nom de porphyre vert antique)
(figure 1).
Figure 1a. Photographie de la roche qui compose le rocher du Corbeau.
Figure 1b. Photographie de la même roche polie.
La composition chimique des minéraux est plutôt calcique et la roche se place dans le domaine des trachyandésites. C’est au Viséen que la différenciation des magmas engendre ce nouvel ensemble de lave.
Ces plagioclases, qui atteignent jusqu’à 15 mm, se sont formés en premier dans la chambre magmatique (ou le conduit profond du complexe volcanique) lors du début de la course de cristallisation ; ils se trouvaient alors en suspension dans le magma qui était sous la surface.
L’érosion a mis au jour les zones profondes de ce complexe volcanique : c'est ainsi que l'on peut observer cette intrusion sous la forme de cheminées ou de filons (dykes) au sein desquels se met en place le célèbre porphyre vert (trachylabradorite porphyrique) de Bourbach-le-Haut.
Le rocher du corbeau est alors a priori un fragment de dyke, une cheminée d'alimentation. Il s'agit d’un ensemble d'une masse intrusive compacte étendue sur près d'un quart de kilomètres carré.
Cependant, des études menées conjointement entre JL Schneider et Christian Lefèvre ont montré après la publication de la thèse de Jean-Luc Schneider en 1990 que le faciès de ces trachyandésites du Rocher du Corbeau correspond à celui d'une roche s'étant mise en place dans un système de type "lac de lave". Il n'est donc pas certain qu'il s'agisse ici d'un faciès intrusif s.s. Il faudrait une étude cartographique détaillée (qui n'a pas été réalisée à ce jour) pour confirmer le fait que nous sommes en présence d'un système intrusif. Cependant la texture microlitique porphyrique semble confirmer que sa mise en place s'est faite soit en surface, soit dans un niveau très proche de la surface, on peut donc parler de roches hypovolcaniques.
Le Rossberggesick
Cet affleurement spectaculaire montre une coupe à travers une coulée d’andésite massive qui présente un débit prismatique. Ce sont des « orgues volcaniques ». (Figure 2).
Figure 2. Les orgues volcaniques du Rossberggesick.
Sur le plan minéralogique, cette roche renferme des cristaux de plagioclases blanchâtres et de pyroxènes noirs bien visibles qui baignent dans une pâte microlitique de couleur gris-bleu. (Figure 3).
Figure 3. Détail de l'andésite du Rossberggesick.
Ces roches plus jeunes que celles du rocher du Corbeau sont classées dans le domaine tholéitique ou calco-alcalin. La roche présente au niveau de la Figure 3 est une andésite qui présente des vacuoles. Celles-ci sont le témoin d’un dégazage du magma.
De plus, peu avant d'arriver au Rossberggesick, on peut également observer des andésites vésiculées de structure scoriacée. Des laves en coussin ou pillows lavas ont été décrits dans la vallée du Willerbach en contrebas. Ce type de lave traduit alors la présence d’éruption sous-marine.
La coulée du Rossberggesick (figure 4) montre un débit prismatique en colonnes dû à la mise en place de fissures de retrait au cours du refroidissement : c'est ce qu'on appelle communément les orgues volcaniques.
Figure 4 Coulée de lave du Rossberggesick.
L'hexagone, visible dans les prismes de cette coulée, correspond à l'expression géométrique qui traduit au mieux la répartition des déformations et le relâchement des contraintes de retrait. C'est pourquoi les primes sont hexagonaux.
L'hétérogénéité du refroidissement va entrainer la fissuration. L'homogénéité (isotropie) du milieu va faire que les contraintes vont se répartir d'une façon homogène dans l'épaisseur de la lave. La forme "iso-contrainte" idéale dans le plan est un cercle mais cette forme géométrique présente un inconvénient majeur : le non remplissage de toute la surface. Le meilleur compromis géométrique est l'hexagone qui résout à la fois l'isotropie et le problème d'empilement. Evidemment, dans la nature, cet idéal "hexagonal" n'est pas toujours vérifié et ce sont alors des motifs polyédriques qui se réalisent.
Panorama du Fuchsfelsen
En quittant le Rossberggesick, en direction du Fuchsfelsen, on peut observer 300m plus loin un affleurement de brèche.
Cette formation sédimentaire à laquelle on peut ajouter la présence de tufs peut s’expliquer par des alternances de régimes éruptifs. Les différents épisodes effusifs comme celui observable au Rossberggesick ont été entrecoupés de courtes périodes explosives accompagnées de projections de cendres et de bombes, à l’origine de tufs et brèches
Arrivés au Fuschfelsen qui correspond à une intrusion andésitique (on pense que cette intrusion pourrait d'ailleurs correspondre à un conduit d'alimentation superficiel du volcan cf. Lefèvre et al. 1994), on peut admirer un panorama sur toute la haute vallée de la Doller jusqu'au Ballon d'Alsace ; cela peut être l'occasion d'aborder l'histoire glaciaire de la vallée car l’observation de la vallée de la Doller révèle sa morphologie glaciaire au cours des glaciations du Quaternaire.
Depuis la plate-forme du Fuchsfelsen on observe également une vue du massif des Volgelstein (Figure 5). Ces roches se découpant dans le paysage constituent un puissant complexe d'andésites à phénocristaux de pyroxène localement bréchiques. les barres rocheuses des Volgelstein correspondent à des coulées ou à des intrusions andésitiques.
Figure 5. Le massif des Vogelstein
Les fossiles.
Il est possible de rencontrer des fossiles sur le site, ceux-ci sont difficiles à trouver, relativement peu nombreux et s'observent préférentiellement à proximité de la ferme des Buissonnets.
Voici un exemple de fossile retrouvé sur le terrain (figure 6).
Figure 6. fossile de brachipode (moule interne de la coquille de Productus burbachianus, espèce définie à Bourbach et retrouvée à proximité des Buissonnets, datant du Viséen).
Contexte géologique régional
Le massif du Rossberg-Belacker qui est situé entre les vallées de la Doller et de la Thur, constitue le plus beau "volcan des Vosges". Dans ce domaine des Vosges du Sud, affleurent de puissantes formations volcano-sédimentaires et volcaniques de l’Ere Primaire (Dévonien-Dinantien).
Comme les déformations tectoniques et l’érosion depuis cette époque ont été particulièrement intenses, il est impossible d’observer dans ce secteur un appareil volcanique complet. Les cratères jusqu’à des zones profondes de ces volcans ont été érodés.
Le massif du Rossberg-Belacker est alors particulièrement intéressant pour étudier l’évolution d’un complexe volcanique andésitique sous-marin probablement en partie émergé. (On pense actuellement qu'il y a eu en fait plusieurs édifices volcaniques). Tout autour de ce bassin ce complexe volcanique se trouvent des bassins de sédimentation qui sont alimentés par les produits de son érosion pour former des sédiments volcano-sédimentaires : les grauwackes mais également les brèches, les tufs et localement des turbidites.
La stratigraphie de ces formations sédimentaires montre une succession de trois grands épisodes volcaniques (Maass, 1988 ; Schneider, 1990, Lefèvre et al., 1994).
- Les séries inférieures qui enregistrent une activité volcanique bimodale basaltique et rhylotique qui s’exprime dans un bassin marin ; (pillow-lavas, à surfaces trempées vitrifiées, col du Hirtzlelach)
- Les séries moyennes qui sont caractérisées par une activité andésitique ;
- Les séries supérieures qui témoignent de l’évolution par cristallisation fractionnée d’un ensemble volcanique depuis des trachyandésites jusqu’à des rhyolites en passant par des intermédiaires rhyodacitiques.
Les formations volcano-sédimentaires du sommet des séries inférieures peuvent être observées dans la haute vallée de la Doller. Le massif du Rossberg-Belacker permet d’observer les formations des séries moyennes ainsi que leur contact avec la partie sommitale des séries inférieures (Figure 6); au Viséen supérieur, les volcans émergent et forment des îles. L’actuel massif du Rossberg constitue un témoin remarquable de cette première phase en partie aérienne. On y découvre d’anciennes laves : les andésites (ou labradorite) en coulées massives et empilées.
Figure 6. Modèle de dépôt des formations des séries moyennes
Les appareils volcaniques formaient vraisemblablement des îles. L'activité volcanique fournit une grande partie du matériel clastique. Un arrière-pays émergé, situé au Sud, alimente également le bassin en éléments resédimentés depuis des assises volcano-sédimentaires plus anciennes (d'après J.L. SCHNEIDER) L'essentiel des données volcanologiques est tiré du travail d'une thèse de J.L SCHNEIDER (1990)
Par ailleurs, d’un point de vue géochimique il semble que de telles roches volcaniques calco-alcalines viséennes (346,7 ± 0,4 à 330,9 ± 0,2 millions d'années) soient associées à un contexte de subduction.
En effet ; la région se trouve concernée entre 340 et 310 Ma par la subduction de la zone Saxo-Thuringienne sous la marge continentale Moldanubienne. Cependant, les études portant sur les différents granites des vallées de la Thur et de la Doller (granites des Crêtes et granite des Ballons) qui datent de la même période indiquent des origines à la fois mantellique et crustale en contexte de collision. Il est donc possible que les Trachy-andésites du rocher du Corbeau, que l’on interprète comme une conséquence d’une fusion d’un manteau hydraté en contexte de subduction, soient probablement d’une origine plus complexe. Les matériaux sources ne sont peut-être pas uniquement mantelliques et les roches volcaniques uniquement le fruit d’une différenciation poussée, mais peuvent correspondre à des mélanges de magmas ou à des contaminations crustales.
Bibliographie
Fluck, P. (2003). Le paléovolcanisme primaire des Vosges du Sud. Congrès APBG 2003, Strasbourg, dossier documentaire du congrès, document B7
Gonzales A-M, Nectoux D, Bertrand H,(2003) La formation des orgues volcaniques. http://planete-terre.ens-lyon.fr, Géoforum
Lefèvre C., Lakhrissi M. et Schneider J.-L. (1994). Les affinités magmatiques du volcanisme dinantien des Vosges méridionales (France) ; approche géochimique et interprétation. C.R. Acad. Sci. Paris, 319, II, 79-86.
Maass, R. (1988). Die Südvogesen in variszischer Zeit. N. Jg. Geol. Paläont. Mh., 10, 611-638.
Ménillet, F., Coulon, M., Fourquin, C., Picheler, J.-C., Lougnon, J.-M. et Lettermann, M. (1989). Notice explicative, carte géol. France (1/50 000), feuille THANN (412) – Orléans : Bureau de recherches géologiques et minières, 137 p. Carte géologique par Coulon M. et al., (1986).
Schneider J.-L. (1990). Enregistrement de la dynamique varisque dans les formations volcano-sédimentaires dévono-dinantiennes. Exemple des Vosges du Sud (zone moldanubienne). Thèse Doct. Univ. Louis Pasteur de Strasbourg, 222 p.
Schneider J.-L. (1995). Le bassin volcano-sédimentaire dévono-dinantien des Vosges du Sud : un témoin de l'évolution de la chaîne varisque d'Europe. Bull. Soc. Hist. Nat. Colmar, 62, 49-86.