Strangenberg : sur le terrain
Après érosion de la chaîne hercynienne au Permien, cette dernière a été recouverte par les couches sédimentaires du Trias et du Jurassique. Dès le Jurassique supérieur, la région se soulève pour former un môle (bombement) allongé qui va rester émergé pendant tout le Crétacé. De ce fait, il n'y a aucun dépôt connu de cette période (lacune stratigraphique). A l’Eocène moyen, suite à presque 100 millions d’années d’émersion, une phase de distension E-W va se produire. Cette phase conduit à un effondrement du fossé rhénan avec création de reliefs importants sur les épaules du rift. Ces nouveaux reliefs de bordure vont être soumis à l’érosion. La couverture sédimentaire du Trias et du Jurassique va être érodés, formant des particules de taille diverses qui seront transportées. De grandes masses de galets sont charriées au fond des canyons vosgiens et déposées en bordure du fossé rhénan, formant des conglomérats. Les conglomérats se déposent en bordure immédiate du fossé alors que les sables s’étalent plus loin jusqu’en bordure du lac rhénan (lac de salinité variable).
La carrière du Strangenberg va permettre de montrer une sédimentation synrift qui s’est déroulée de l’Eocène à l’Oligocène ainsi que des évènements tectoniques liés à l’effondrement du fossé rhénan.
ATTENTION CARRIERE QUI PEUT ETRE DANGEREUSE EN TEMPS DE PLUIE (RISQUE DE GLISSEMENT) NE PAS SE PLACER SOUS LES BLOCS DE LA CARRIERE (RISQUE DU CHUTE DE BLOCS)
Vue générale de la carrière du Strangenberg.
Que peut-on découvrir dans cette carrière ? On peut observer des alternances de marnes rouges et de grès jaunes qui peuvent renfermer des galets.
Alternance de calcarénite et de marne.
Les grès jaunes ont une forte teneur en calcaire: ce sont des calcarénites sableuses. Ils contiennent des résidus d’oolithes du Jurassique et des grains de quartz issus de l’altération de grès du Trias. Ils sont cimentés par de la calcite. On peut également trouver des grès conglomératiques qui renferment des galets de calcaire du Muschelkalk. Ces grès correspondent à des dépôts contemporains de l'effondrement du rift et sont datés du Cénozoïque (Eocène- Oligocène). Ils sont issus du démantèlement de la couverture mésozoïque (Trias et Jurassique) qui recouvraient le socle hercynien.
On peut observer des rides d’oscillation à la surface de certains bancs de calcarénite. Elles témoignent de l'action de la houle sur le sable présent sous une faible tranche d'eau.
Rides d'oscillation ou rides de vague dans le grès calcaire
Les marnes rouges contiennent des fossiles d’eau douce : Poisson (Paraletes bleicheri) et Lamellibranches (Mytilus faujasi).
On peut également observer des encroûtements stromatolithiques (résultat de l'activité microbienne de cyanobactéries photosynthétiques) à la surface de gros blocs. La présence d'organismes photosynthétiques indique la présence d'un milieu bien éclairé ce qui implique une profondeur d'eau faible.
Stromatolithe.
La faune que l'on retrouve dans les marnes (lamellibranches , poissons d'eau douces et stromatolithes) indique un milieu lacustre.
On peut retenir que les grès calcaires et les conglomérats se mettent en place dans un cône alluvial. Un cône alluvial désigne une accumulation de sédiments détritiques arrachés à un relief et transportés par l'eau au sein d'un canyon. Au débouché du canyon et donc au pied des reliefs, la baisse de vitesse de l'eau induit un dépôt des particules (alluvions). Leur accumulation génère la formation d'un éventail ou d'un cône appelé cône alluvial. La présence da particules de petite taille (<2mm) indique que le dépôt du site étudié s'est fait dans la partie distale du cône (en aval ou en périphérie de celui-ci).
La présence de marnes et d'organismes aquatiques indique la présence au moins temporaire d'un environnement lacustre sur le même site.
Attention : ces environnements (lac et cône alluvial) coexistent à un instant t. Ils sont présents simultanément côte à côte. Cette juxtaposition des environements implique une variation latérale de faciès (schéma ci-dessous). Ceci implique que le cône alluvial se mette en place au bord d'un lac. On peut donc le qualifier de "fan delta".
Au cours du temps ces environements (lac et cône alluvial) migrent aussi dans l'espace, expliquant que sur un site donné, on enregistre alternativement une sédimentation lacustre (marnes) puis de cône alluvial (grès et conglomérats).
Légende : rouge = socle hercynien (granites, roches métamorphiques), rose avec points = roches sédimentaires du Trias (grès, calcaires, argilites), bleu = roches du Jurassique (calcaires et marnes), jaune = Eo-Oligocène de bordure du fossé rhénan (conglomérats et grès de cônes alluvial), rose Eo-Oligocène du centre du fossé rhénan (marnes et évaporites).
Cette figure montre l'accumulation de matériaux détritiques arrachés aux Vosges (épaule du rift) qui s'accumulent au pieds des reliefs, en bordure du fossé rhénan (formation jaune). Au sein de cette unité on observe une variation latérale de faciès avec les plus grosses particules dans la partie amont du cône et les plus fines dans la partie aval (distale). Au centre du fossé rhénan des marnes avec du sel (évaporites) se mettent en place à la même époque que ces conglomérats et grès de cône alluvial.
L'alternance entre dépôts de grès et de marnes observable dans la carrière est explicable par des phénomènes de crue, des phénomènes climatiques ou des variations du niveau du lac. Cette sédimentation rythmique explique la présence de strates de nature différente sur le site.
On peut comparer les dépôts de la carrière du Strangenberg aux conglomérats côtiers de Turckheim (Letzenberg) car ces deux formations sont contemporaines. Au Strangenberg, la sédimentation est plus fine qu’à Turckheim (où l'on peut observer des conglomérats côtiers). Ceci est le signe d'un éloignement de la zone d'apport des sédiments donc des bordures du rift. Les éléments les plus grossiers (galets) sédimentent en premier dans les parties les plus proximales du cône alluvial, formant des conglomérats que l'on observe à Turchkheim. Les particules les plus fines (sables) sédimentent plus loin dans la partie distale du cône alluvial (périphérie ou pied des cônes arrivant dans le lac rhénan), formant les calcarénites que l'on observe à Rouffach (voir schéma ci -dessus).
Outre le remplissage sédimentaire du fossé, on peut également observer des phénomènes tectoniques qui accompagnent l’effondrement du fossé rhénan comme la présence d’une faille normale (voir photo ci-dessous).
Front de taille de la carrière
Les grès jaunes de Rouffach ont été exploités dès l’époque romaine. Ces grès ont permis la construction de nombreux bâtiments comme les collégiales de Thann et Colmar, l’église de Rouffach, la palais de la Régence d'Ensisheim…
Complément : les fossiles lacustres du Tertiaire du fossé rhénan.
Fossiles lacustres du Tertiaire du fossé rhénan (Benecke inédit) .7ème Congrès Français de Sédimentologie-Livre des excursions, 1999, Publ.ASF, Paris, n°34, 84P.
Légende : 1 - Ostrea callifera, 2 - Cytherea splendida, 3 - Fusus elongatus, 4- Entelodon magnum, 5 - Leda deshayesiana, 6- Nucula chasteli, 7 - Amphisyle heinrichi, 8- Meletta heckeli, 9 - Melettaparisoti,10 - Ostrea cyathula, 11 - Cerithium margaritaccum, 12 - Cerithium plicatum, 13 – Mytilus faujasi, 14 - Paralates bleicheri, 15 - Vitrina kochi, 16 - Hyalinia christallina, 17 –Hyalinia fulva, 18 - Patula alhardae, 19 - Helix pulchella, 20 - Helix costata, 21 - Helix tenuilabris, 22 - Helix hispida, 23 - Helix bidens, 24 - Helix arbustorum, 25 - Pupa muscorum, 26 - Pupa columella, 27 - Cochlicopa lubrica, 28 - Clausilia filograna, 29 - Clausilia parrula, 30 – Clausilia pumila, 31 et 32 – Succinea putris 33 à 40 Succinea oblonga, 41 à 44 - Limnaeus palustris, 46 et 46- Limnaeus trunculatus, 47 et 48 - Planorbis umbilicatus, 49 et 50 - Planorbis rossmassleri, 51 - Planorbis rotundatus, 52 - Bythinia tentaculata, 53 - Valvata piscinalis, 54 - Valvata antiqua, 55 - Valvata naticina, 56 - Valvata macrostoma, 57 - Pisidium aumicum, 58 - Pisidium casertanum, 59 - Pisidium obtusale, 60 - Paludina vera, 61 - Helix sylvatica.
Bibliographie Duringer Ph.1988 Les conglomérats des bordures du rift cénozoïque rhénan. Thèse d’état ULP Strasbourg. PnrBV.2007 La géologie du massif vosgien et du fossé rhénan. Guide de l’enseignant.